28 mars 2024

L’important c’est le résultat d’exploitation, pas le PIB

Comme nous l’avons déjà dit, le PIB n’est qu’un solde intermédiaire de gestion et ne mesure que le volume de certaines composantes de l’activité économique globale, à savoir la consommation, les rémunérations, ou la valeur ajoutée, mais pas du tout le résultat d’exploitation global. Pour une entreprise, ne considérer que le PIB, reviendrait à ne s’intéresser qu’à sa valeur ajoutée, ou à sa masse salariale, tout en négligeant complètement de regarder son résultat d’exploitation, c’est à dire son bénéfice ou son déficit. C’est naturellement impensable…. 

Certes on nous objectera que, dans le cas d’une entreprise-nation, le but n’est pas faire du bénéfice, ni même de chercher à augmenter ce bénéfice, mais que la « bonne santé économique », peut très bien se traduire par un résultat comptable simplement équilibré, c’est à dire égal à zéro, concomitamment à une consommation et une masse salariale en augmentation régulière.

Cette affirmation est tout à fait exacte, à ce détail près toutefois que le résultat doit réellement être équilibré et ne pas cacher un déficit sous jacent. Autant nous pouvons admettre que l’objectif de l’entreprise-nation ne soit pas de faire du bénéfice, mais de faire croître certains soldes intermédiaires de gestion pour le plus grand bien de la population, autant nous contestons qu’une entreprise, même une entreprise-nation, puisse vivre durablement en cumulant des déficits successifs, année après année. Or c’est ce qui se passe pour l’entreprise « civilisation industrielle » qui fonctionne « à perte » depuis le milieu des années 1970.

Ce masquage du déficit comptable est patent lorsque nous constatons que l’Etat oligocrate se refuse à produire les habituels documents de synthèse comptables annuels d’une véritable comptabilité, c’est à dire un compte de résultat et un bilan, comme toute entreprise ordinaire est pourtant tenue de le faire. De fait, nous voyons bien que sommes en présence d’une législation oligocratique ad hoc et dérogatoire, qui dispense l’Etat de fournir une photographie juste et sincère de l’activité économique du pays et l’autorise à ne produire que des extraits de comptes habilement maquillés, dans le but évident de rassurer le grand public.

Pour autant, et même en comptabilisant les charges écologiques que nous venons de détailler, le résultat d’exploitation de la société industrielle n’a pas toujours été déficitaire par le passé. Pendant plusieurs décennies, en effet, la valeur ajoutée de l’action humaine a compensé ces lourdes charges. Cette tendance a commencé à s’inverser partir des années 1970, après que premier choc pétrolier sonne le glas des « trente glorieuses » et de l’énergie bon marché ayant permis la mise en oeuvre d’un processus industriel bénéficiaire.

Cette fin de l’énergie bon marché, avec pour conséquence immédiate le passage dans le rouge comptable de l’économie capitaliste croissanciste, amena l’oligocratie à prendre deux mesures législatives fondamentales pour tenter de masquer ce virage : l’abandon de l’étalon-or et la généralisation de la monnaie-dette. Par ces deux mesures, la monnaie cessait de jouer le rôle de bien intermédiaire pour ne devenir une simple ligne informatique sans valeur réelle, et son pouvoir de création était confié aux banques privées d’une manière quasiment libre et incontrôlée. Ces deux artifices financiers vont alors permettre de maquiller le calcul du PIB, notamment pour ce qui est de sa première approche, par la consommation et de sa deuxième, par les rémunérations.

Pour ce qui est de l’approche par la valeur ajoutée, nous avons déjà vu précédemment qu’en recalculant le PIB avec des valeurs intrinsèques prenant en compte les charges et provisions écologiques, celui-ci n’est plus en croissance, mais en décroissance. Le résultat de l’équation « VA =  production – consommation intermédiaire » diminue alors chaque année, signifiant ainsi que le bilan thermique de l’action humaine devient progressivement déficitaire, ou encore que la valeur des consommations intermédiaires incorporées dans la fabrication des produits se rapproche, en réalité, de la valeur des produits finals.

A cette valeur ajoutée décroissante s’ajoute une falsification de la comptabilisation par la consommation (première approche du PIB) dans la mesure où cette consommation est payée avec une monnaie qui, elle même, n’a plus de valeur convertible en bien intermédiaire. La valeur de la consommation finale est donc plus que contestable.

Enfin, la deuxième approche du PIB, celle par les rémunérations, se trouve elle aussi falsifiée puisque ces rémunérations sont servies avec une monnaie créée ex nihilo par les banques privées. Notons par ailleurs, que la sous-traitance de la fonction dite de la « planche à billet » opérée par l’Etat central au profit de ses organismes complices, les banques privées, présente pour lui le singulier avantage de faire assumer par d’autres l’activité professionnelle peu recommandable de faux-monnayeur.

Si nous regardons tout cela sous l’aspect du concept de croissance, nous ne pouvons qu’être plongés dans la plus grande perplexité. Il semble bien, en effet, qu’en parlant de croissance, l’oligarchie mette la charrue avant les boeufs. Le seul et véritable problème qui nous est posé, c’est celui du déficit cumulé, et accumulé, par la civilisation industrielle considérée en tant qu’entreprise.

Ce déficit persistant, qui n’est compensé par aucun excédent de gestion, va nécessairement nous conduire à la banqueroute, la décroissance induite des indicateurs de type PIB n’étant qu’une conséquence arithmétique de cette faillite annoncée.

En termes clairs, l’objectif de croissance n’a tout simplement pas de sens dans un système déficitaire sur le plan comptable. Vanter une croissance qui est elle même génératrice de faillite, revient à considérer que plus on a de dettes, plus on est riche !

Mais nous devons être réalistes, car la religion croissanciste est trop solidement ancrée dans l’inconscient collectif des populations pour pouvoir être aussi facilement contredite. Nous pouvons même affirmer qu’elle a remplacé la plupart des croyances anciennes, comme en témoigne le fétichisme ostensible vis à vis d’objets de consommation devenus désormais exosomatiques. Il y a donc peu de chances que ce dogme puisse s’effondrer naturellement, de lui même.

Même l’inversion du piston de la machine par des moyens volontaires (phénomène politiquement peu probable) ne changerait rien à l’application de la loi de l’entropie sur le processus industriel, c’est à dire à la dégradation irrémédiable de l’énergie disponible pour assurer sa mise en oeuvre. Par ailleurs les pics d’extraction des ressources naturelles sont déjà presque tous atteints, ce qui signifie que ce qui reste à puiser est désormais devenu plus faible que ce qui été déjà prélevé.

L’hypothèse la plus probable est donc que l’activité économique suivra un chemin logique, celui qui la ramènera à une situation équilibrée sur le plan thermodynamique, et consubstantiellement équilibrée sur le plan comptable. Ce phénomène prendra fatalement la forme d’une décroissance industrielle subie, conséquence prévisible d’une croissance n’ayant pas respecté toute la rigueur des lois physiques.

Et cette décroissance, qui va s’imposer à tous, nécessitera la mise en place d’un nouveau système d’organisation sociale radicalement différent du système actuel. Nous disons bien radicalement différent, car nous ne pouvons imaginer, pour gérer et s’adapter à la décroissance, d’utiliser les mêmes schémas politiques qui ont servi à créer et gérer la croissance, faisant ainsi nôtre la célèbre formule d’Albert Einstein mise en exergue de cet ouvrage : « on ne résout pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé ». Notre contribution à la résilience se présente sous la forme d’un programme concret que nous avons intitulé « Programme pour une société de l’après croissance », sachant que, pour nous l’après croissance, c’est naturellement  la décroissance.

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