19 avril 2024

La décroissance en tant que rupture politique

La réduction de la capacité énergétique et minérale de notre civilisation heurtera de plein fouet une masse de consommateurs par ailleurs en progression numérique. En nous basant sur le principe du triangle du feu, décrivant la croissance en tant que combustion économique, il s’avère que nous devrons faire face à une diminution du combustible parallèlement une augmentation du comburant, ce qui nécessitera obligatoirement d’agir très sérieusement sur le troisième composant de la réaction chimique, l’activateur, c’est à dire le capitalisme.

Nous pourrions certes imaginer que ce système périclite de lui-même dès lors que les éléments constitutifs de la croissance viendront à se raréfier, mais ce serait sans doute faire preuve d’un optimisme bien naïf dans la mesure où le capitalisme s’exprime par le biais d’intérêts particuliers et procède de la domination d’une classe sociale sur une autre. C’est ainsi que, par l’effet de la propagande de la pensée unique, l’opinion la plus couramment répandue est que ce système ne peut tout simplement pas être éradiqué. Tout au plus de légers correctifs sont évoqués, voire poursuivis par une action politique visant là a redistribution d’une partie des profits des plus riches vers les moins riches.

Ces pseudo-recherches de palliatifs ne sont naturellement que des duperies destinées à adoucir la tendance revendicatrice habituelle des masses populaires face aux inégalités trop visibles. La variable d’ajustement la plus connue est l’ineffable socialisme qui, utilisé en phase d’alternance politique, permet au capitalisme de lâcher un peu de lest par l’application de potions anesthésiantes sur une plèbe ponctuellement en souffrance

Pour mémoire, nous pourrions également évoquer quelques clubs élitaires anecdotiques que nous ne nommerons pas mais que chacun reconnaîtra, dont les membres sont pour la plupart issus du sérail petit-bourgeois, et dont le discours embrouillé et les objectifs fumeux ne remettent pas véritablement en cause un capitalisme qu’ils contribuent par ailleurs à renforcer puisque, par le dispositif bien connu de la récupération, celui-ci (le capitalisme) sait parfaitement comment se renforcer des ses propres oppositions.

Bref, aucun coin sérieux ne semble aujourd’hui être enfoncé par quiconque dans le tronc de l’arbre capitaliste et dans aucune fente significative susceptible de le faire éclater, un jour peut-être. Contester le capitalisme semble donc une entreprise insurmontable, et pour tout dire impossible. Mais l’Homme a pourtant vécu pendant des siècles en dehors de ce régime, sans que nous puissions affirmer que tous les modes de vie antérieurs à son apparition aient été détestables.

Plusieurs idées fausses, largement répandues dans l’opinion publique et entretenues par la pensée unique, lui sont favorables et aident incontestablement à sa durabilité. La plus notoire consiste à assimiler le capitalisme à la garantie du droit de propriété, par ailleurs solennellement affirmé dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, lui donnant ainsi une caution républicaine imprescriptible.

Une autre consiste à faire coïncider le début du capitalisme avec l’essor de la civilisation et le passage humain de l’état de chasseur-pêcheur-cueilleur à celui d’agriculteur-artisan. Ainsi dès l’instant où l’individu aurait commencé de posséder un outil de travail et de vendre à autrui les produits de son activité, il aurait initié un processus capitaliste…

On comprend aisément dès lors que le capitalisme soit considéré comme indissociablement lié à la civilisation humaine et qu’il ne puisse être contesté comme faisant partie intégrante de l’organisation socio-économique normale. Le plus frappant est de constater que cette version fantaisiste est affichée la plupart du temps par les détracteurs même du capitalisme en tant que tel, témoignant ainsi de leur désarroi et leur impuissance devant une donnée historique implacable.

En réalité, et de façon sensiblement différente de ce qu’avait jugé Marx lui-même, le capitalisme tire son essence du capital au sens financier et non pas au sens patrimonial du terme. Ce n’est qu’avec, et grâce à la « fiduciarisation » de la société qu’il est apparu et a pu se développer pour atteindre son hégémonie actuelle et sa déclinaison étatique, ajoutant à sa perversion sociale le ferment malin de l’autoritarisme.

Pour déchoir le capitalisme de son emprise et de son rôle d’activateur intempestif de la combustion économique, il suffirait dès lors d’entreprendre à son encontre une action législative non violente et non coercitive, mais de nature résolument « abolitionniste ». Il s’agirait, en l’espèce, de supprimer toutes les lois permettant au capitalisme d’exister, à commencer par celles garantissant les transactions argent/argent, ainsi que celles permettant la conduite de l’activité économique en dehors de toute responsabilité individuelle (ce qui signifie l’abolition de la personnalité morale).

Il est de toute première importance d’insister sur ce « facteur législatif » qui est généralement ignoré, ou passé sous silence, par les analystes de toutes tendances qui considèrent volontiers que le capitalisme financier est un dispositif inné, normal, inhérent à la nature humaine, résultant d’une déclinaison économique de la liberté, le fameux « libéralisme », et que les doctrines visant à le combattre devraient être contraintes à inventer des lois pour contrecarrer son action. Or, rien n’est plus faux car le capitalisme peut tout aussi bien être contraint lui-même à l’extinction par la disparition des lois « anti-naturelles » qui lui permettent de s’exprimer. Le capitalisme en fait, repose sur une construction juridique artificielle. Si on supprime cet édifice juridique, il n’y a tout simplement plus de capitalisme.

En synthèse point n’est donc besoin d’édicter des lois pour le contrer, il suffit tout simplement d’abroger les lois qui le font exister. Mais la question se pose alors : comment faire passer ce train législatif abolitionniste dans un paysage tout entier dominé par le capitalisme ?

Eh bien, nous pensons que ce paysage précisément peut changer, car cette réduction de la combustion économique par l’effet premier de la raréfaction de son carburant et l’effet secondaire de l’amenuisement de son activateur, va déclencher une situation objectivement révolutionnaire.

Une situation objectivement révolutionnaire dans le sens où les piliers fondamentaux de l’organisation sociétale se mettront à vaciller sur leurs bases, entraînant une perte de confiance dans les mythes de la société industrielle, dont nous avons déjà parlé, et, par voie de conséquence, une déstructuration de l’imaginaire collectif.

Cette perspective finale ne fait guère de doute, mais le point délicat consiste à déterminer quel sera le degré de rapidité du changement.

Autrement dit, nous avons à évaluer si la probabilité d’un déclin progressif et plus ou moins forte que celle d’un effondrement brutal.

Or c’est bien l’option pour le déclin qui doit être retenue, plutôt que celle de l’effondrement, et ceci pour au moins deux raisons principales.

La première est d’ordre économique, car nous pensons que le capitalisme possède les ressources nécessaires pour éviter l’effondrement, et que, après surmonté les crises diverses qu’il a dû affronter, il a mis en place des mécanismes de rétablissement et de survie en mesure de le préserver d’un effondrement brutal. Les forces vont toujours jusqu’au bout de leurs forces, et le capitalisme est particulièrement fort !

La deuxième raison relève d’une philosophie politique qui croit résolument en l’homme et qui nous engage dans une démarche constructive, que nos contradicteurs nomment souvent constructiviste sans que cela nous gêne d’ailleurs le moins du monde. Celle-ci prend en compte l’inéluctabilité du déclin progressif de notre société industrielle, mais se propose de le construire d’un point de vue politique, au contraire de nos amis effondristes, qui se refusent à ce qu’ils appellent le solutionnisme et se cantonnent dans une approche de type psychosociologique visant à préparer mentalement le citoyen aux conséquences de l’effondrement brutal de la société industrielle.

Notre vision est tout autre dans la mesure où nous proposons de construire le déclin par une modification en profondeur des institutions et du corpus législatif, dans le cadre d’un programme concret que nous avons dénommé : Programme pour une société de l’après croissance. Le Programme pour une société de l’après croissance est un programme de révision de la constitution actuelle et des codes juridiques. Il est basé sur un  travail collaboratif entrepris entre janvier 2014 et décembre 2015, par le groupe de réflexion Démocratie Directe & Résilience, puis repris et retravaillé fin 2020 par le Parti pour l’après croissance afin de lui donner sa forme actuelle. Ce Programme propose un nouveau système d’organisation politique, visant à empêcher le développement des injustices sociales et apte à répondre aux contraintes bio-économiques des temps prochains. Il est basé sur une hypothèse fondamentale, la décroissance inéluctable de la civilisation industrielle, et treize principes directeurs déclinés en règles concrètes. Il propose ainsi un cadre législatif pour que notre société puisse mettre en œuvre sa capacité de résilience dans des conditions optimales et construire son déclin en se préservant de l’effondrement. Il constitue le projet politique du Parti pour l’après croissance.

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